Entretien avec Clément Mélomé, leader du Poly Rythmo de Cotonou, Bénin, mars 2009
Par James 'Jimmy' Stewart du blog AFRO SOUL DESCARGA
La musique de Féla était une musique très impliquée politiquement. Il disait des choses osées, à l’époque sur Obasanjo, sur la politique. Est-ce que vous écoutiez ses paroles, ce qu’il disait sur l’Afrique ? Comment avez-vous reçu, à l’époque ses textes ?
Clément Mélomé : Nous avions à l’époque des gens qui connaissaient le Yoruba. Par exemple lui (il montre du doigt Gustave Bento), il connaissait le Yoruba. Donc, on ne prenait pas les morceaux qui insultaient le gouvernement. Non, non, non. On prenait des morceaux qui parlaient des mœurs…Les morceaux d’ambiance comme « Lady », on a exécuté beaucoup de morceaux de Féla, mais on ne prenait pas les morceaux trop politiques.
Gustave Bento : Même le jour que l’on est parti au Nigeria pour jouer dans un festival, il nous a invité dans son bar (le Shrine), il nous a payé des coups à boire. On est resté un peu mais il n’y avait que lui qui pouvait jouer certains morceaux.
Clément Mélomé : Oui, on a joué une fois là-bas, on a joué nos morceaux, c’est lui qui nous avait invité. Albarika s’est arrangé et on est resté dormir dans le bar parce qu’il avait des chambres en haut.
Et comment le public de Lagos a réagi à votre musique ?
Clément Mélomé : C’est-à-dire que c’était un public qui aimait notre musique. D’abord nous avons fait le FESTAC 1977. On a écrit un morceau pour le festival. Et cela a fait vraiment beaucoup de boucan. France Inter nous a classé deuxième mais le pays organisateur, lui, nous classé premier.
Vous disiez toute à l’heure combien il était difficile de gagner sa vie comme musicien, même au sein du Polyrythmo. Qu’en est-il aujourd’hui ? Dans quelles circonstances jouez-vous ? Continuez-vous toujours d’enregistrer des albums ?
Clément Mélomé : Bon, la vie était difficile mais on s’en sortait quand même. On gagnait notre vie et c’était la belle époque parce qu’avec un peu d’argent on pouvait tout faire. On passait bien notre vie.
Maintenant c’est un peu difficile. D’abord, pour commencer notre guitariste est mort, avec une suite de membres important qui sont partis. Par exemple le batteur, le chanteur Vicky, puis d’autres sont partis comme Eskil. Donc c’est difficile, mais on a repéré des jeunes qui jouent avec nous, on n’a pas perdu notre manière de jouer.
Mais faire des disques avec les jeunes, on ne peut pas. Donc, ce qu’on fait maintenant, c’est que quand il y a quelque chose de très important, on prend des musiciens qui peuvent jouer et ils jouent avec nous. Il y en a. Parmi les ventistes par exemple, il y a de très bons ventistes.
Et donc si j’ai bien compris, il y a des choses que vous veniez jouer en France dans le courant de l’année ?
Clément Mélomé : C’est-à-dire qu’avec le disque qui est sorti (compilation de morceaux des années 1970 du Polyrythmo parue chez Analog Africa) nous avons trouvé une femme de R.F.I qui a voulu faire des choses pour que nous puissions jouer là-bas. Elle a déjà envoyé le contrat et on a signé et maintenant elle va chercher où on peut jouer.
Pour revenir à Féla, en Europe, tout le monde pense qu’il a inventé l’afrobeat, qu’en pensez-vous ?
Clément Mélomé : Oui c’est vrai. C’est lui qui a inventé le rythme « chankokou » ( ?)
Gustave Bento : Oui, c’est leur folklore qu’il a amélioré.
Clément Mélomé : Et puis on se rencontrait souvent en studio à l’époque au studio E.M.I, à Akpakpa, au Nigeria. Souvent nous on venait travailler dans la journée et lui dans la nuit.
Pourquoi alliez-vous au Nigeria pour enregistrer ?
Clément Mélomé : Parce qu’il n’y avait pas de bon studio au Bénin. Quand on a commencé à Cotonou c’était les « Nagra » (enregistreur 4 pistes), vous connaissez ?
Oui, oui, c’est avec un Nagra que je suis en train d’enregistrer…
Clément Mélomé : À l’époque on plaçait le « Nagra » là, sur la table et nous on jouait autour de ce micro. C’est comme ça qu’on enregistrait. Mais après, notre producteur il était habitué aux gens du Nigeria, il connaissait beaucoup de studios, E.M.I, Decca, et il préférait nous emmener là-bas. Il avait une voiture, il nous prenait dedans et on allait faire le disque là-bas.
Gustave Bento : C’était le producteur Albarika store. On l’appelait « Dionna »( Adissa Seidou).
Clément Mélomé : C’était le meilleur.
Gustave Bento : Il nous a même acheté des instruments.
Qu’est-ce que c’est pour vous un bon producteur ?
Clément Mélomé : Quand je dis un bon producteur, c’est pas parce qu’il paye bien. Mais, c’est-à-dire, il s’occupait bien des musiciens. Il nous a acheté les instruments, il nous a acheté un car et puis pour les musiciens qui avaient beaucoup de valeur, il nous achetait à tous des voitures, des motos, tout ça. Il nous entretenait bien.
Est-ce qu’il travaillait avec vous sur la construction des morceaux ?
Clément Mélomé : Non non, il n’était pas musicien, il était commerçant c’est tout. Mais il en a beaucoup vendu, parce qu’il vendait jusqu’en Côte d’Ivoire, partout.
Gustave Bento : C’est lui qui nous a envoyé jouer en Côte d’Ivoire la première fois, par avion.
Vous écoutiez les autres orchestres africains de l’époque comme le Bembeya Jazz, le Super Rail band, Le Baobab… ?
Clément Mélomé : Tous les orchestres qui venaient jouer ici, ils jouaient avec nous. On a joué avec le Bembeya Jazz plusieurs fois, avec le Rail Band, avec les Amazones de Guinée, plusieurs fois. On a joué aussi avec Nahawa Doumbia du Mali, on l’a accompagné ici. On a eu un doyen qui a joué avec nous, c’est Tidiani Koné (saxophoniste malien, fondateur du Super Rail Band du buffet-hotel de la gare de Bamako). Un bon saxophoniste.
Il y avait, pas très loin, au Burkina, des artistes comme Amadou Ballake qui reprenaient beaucoup James Brown vous les connaissiez aussi, vous les écoutiez ?
Clément Mélomé : On les connaissait, mais on a pas joué avec. À l’époque là-bas, au Niger aussi, la musique n’était pas très avancée. Même en Côte d’Ivoire, il y avait seulement François Lugra ( ? ) et puis Ernesto Djédjé. Pour le Ghana, on a connu les Ramblers et le Set ( ? ) Band, ils étaient quatre. C’est avec eux que notre ancien guitariste, Papillon, avait commencé à jouer. On accompagnait tous les musiciens de l’époque comme Danialou Sagbohan. C’est avec nous qu’il a fait son morceau « gbeto vivi ».
…
On a été en Libye et les gens nous ont fait signer des papiers pour prouver que l’on ne transportait pas des liqueurs. On l’a pas fait, mais arrivés là-bas, pour vérifier qu’on avait pas transporté des liqueurs ils ont laissé tomber les amplis, pour vérifier. Ils étaient fracassés. La moitié des instruments était fracassée. Arrivé ici, on était en période révolutionnaire, et la révolution a commencé par avoir des ennuis. On a écrit au président, il nous a reçu mais personne a rien fait. C’est comme ça qu’on a perdu nos instruments. Aujourd’hui quand on joue, on fait la location des instruments.
Comment la jeunesse béninoise réagit quand vous jouez aujourd’hui ?
Clément Mélomé : Tous les orchestres de jeunes, ils jouent nos morceaux. Ils ne veulent même plus qu’on émerge parce que, bon, partout ou ils passent, il y a toujours nos morceaux. Il y en a même qui prenne nos morceaux. Par exemple, moi, mon morceau « Tombola », quelqu'un l’a pris. Ils apprécient notre musique.
Gustave Bento : Par exemple, s’il a un concert, on nous laisse jouer en dernier. Parce que si on joue en premier, après il n’y a plus personne, tout le monde rentre à la maison (rires des deux).
Clément Mélomé : C’est comme ça, c’est pas qu’on se vante, mais on a travaillé.
…
Auriez-vous quelques anecdotes drôles sur l’époque ?
Clément Mélomé : On avait écouté une chanson zaïroise, c’est « baya-baya », donc quand on est revenu de Côte d’Ivoire on a composé quelque chose qui ressemblait à ce morceau-là, pour la révolution. Et quand le président Houphouët-Boigny a entendu ça il a voulu que l’orchestre soit l’orchestre de la télévision. Il a voulu nous prendre comme orchestre national. On a dit que le morceau que l’on avait composé était révolutionnaire et il a demandé de ne plus joué ça à la radio…(rires). Et, après, comme il n’a pas pu nous avoir comme orchestre, il a organisé un concours de chanson patriotique en Côte d’Ivoire là-bas. Et il a mis au moins 20 millions (CFA) et il voulait seulement le premier. Le premier gagnait 13 millions et les quatre autres se partageaient le reste comme lot de consolation. Et là, notre producteur est venu et il a demandé :
« - Compose quelque chose.
- Mais je suis pas Ivoirien. »
Il est venu le lundi, le concours se terminait le samedi, donc il est venu le lundi et il m’a dit : « Compose quelque chose ». Donc, on a travaillé le mardi, le mercredi, le jeudi, on a été à Lagos, on a enregistré. Le vendredi lui il est reparti à Lagos, il a pris les échantillons, il est parti, il a donné ça à la radio qui l’a joué. Houphouët-Boigny a entendu ça et il a dit non. Ce qu’on leur a demandé, ils n’ont pas pu le faire, ils ne remettent pas le prix à des expatriés…Et c’est comme ça que j’ai reçu des lettres anonymes, des menaces (éclats de rires). Et donc c’est notre morceau qui s’est vendu comme des petits pains. C’est « Côte d’Ivoire chérie » (Gustave chante : « Pays du café, pays d’ananas… »). On a beaucoup de choses drôles, mais il faut se les rappeler (rires)…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire